La nouvelle est tombée en fin d’après-midi : Bebel nous a quitté vers 16 h, à l’âge de 88 ans.
Depuis me taraude la question suivante : au Paradis, dans ce milieu qu’on imagine sage, poli et ordonné, même s’il y règne la félicité, ne risques-tu pas de t’ennuyer rapidement ? Mais où aller ailleurs ? Bien entendu, je n’ai aucun doute sur le fait que tu ais passé brillamment l’examen d’entrée au Paradis. Aurais-tu eu quelques turpitudes sur la conscience, ce dont j’ignore tout bien entendu, tu as fait rigoler tant de gens, fait actionner si souvent tant de zygomatiques, bref distribué massivement du bonheur que l’actif a dû peser beaucoup plus lourd que le passif.
J’en suis le premier témoin, moi qui ai vu un grand nombre de tes films, à commencer par « l’homme de Rio » en passant par « le magnifique » et « les tribulations d’un chinois en Chine » : des cascades impressionnantes, que tu exécutais toi-même, au service de scénarios délirants où le plus improbable relevait de la banalité.
Alors, Bebel au milieu d’angelots adorables, souriants, qu’on espère quand même sexués, mais d’une sagesse exemplaire, c’est peut-être un peu monotone, même si certaines angelotes doivent valoir le détour visuel. Et puis, comme disait un humoriste célèbre : « l’éternité, c’est un peu long, surtout vers la fin ».
Et voilà que m’est apparue la solution magique : Bébel prof de cascades au Paradis ! Un emploi à temps plein, avec des ressources illimitées pour créer les situations les plus extravagantes, très casse-gueule : des cascades vertigineuses, des tunnels interminables, des nuages qui virevoltent auxquels on ne sait comment s’accrocher. Mais rien qui puisse arrêter ta fougue ni dépasser ton savoir-faire. Un boulot en or, taillé sur mesure.
Me voilà rassuré : Bébel, tu ne risques pas de mourir d’ennui ; des cohortes d’angelots et d’angelotes, des milliards d’humains rêvant d’exercices, ce n’est pas le boulot qui va te manquer, sans compter les arrivages quotidiens depuis notre bas monde, certainement plusieurs dizaines de milliers par jour.
Une idée m’enchante : mon grand-père paternel, avec son air si sévère, accroché à un hélicoptère au-dessus d’un océan déchaîné ; ou ma grand-mère, que j’imaginais assez rigolarde sous ses airs sérieux (j’adorais son sourire quand elle me voyait dévorer, adolescent, les côtes de porc aux spaghettis qu’elle me concoctait quand j‘allais dormir chez elle) en train de prendre des cours de karaté…
Allez, ami Bebel (tu ignores tout de moi : nos chemins ne se sont jamais croisés), bon séjour au Royaume des Cieux, tu y-as de quoi faire des milliers d’heureux, comme quand tu étais parmi nous.