Les lions de Blandine

C’est acté : en l’an 177, Mlle Blandine a été sacrifiée, aux arènes de ma bonne ville de Lyon (alors Lugdunum, sous administration coloniale romaine) pour avoir affirmé tenacement « oui, je suis chrétienne, et je ne fais de mal à personne ». En matière d’intolérance, reconnaissons que les parpaillots et papistes irlandais ne font guère mieux : les guerres de religion n’ont pas fait beaucoup de progrès.

Mais là n’est pas mon propos ; il concerne les mâchoires qui ont dépecé notre héroïne.

La mémoire populaire relate qu’elle aurait été jetée à la fosse aux lions, mais les historiens nous disent que : « les bêtes en question n’étaient surement pas des fauves, les félins importés d’Afrique du Nord étant trop chers pour les organisateurs gaulois qui utilisaient plutôt les animaux capturés dans leur pays (ours, sangliers, loups, lynx, taureaux) ».

Le bon sens s’impose en effet dès lors qu’on imagine le métier de fournisseur de lions pour les bourreaux romains. Regardons de plus près la gestion de la filière « félins ».

Première étape : capturer un lion sans l’endommager, dans les campagnes maghrébines. Avec quoi attire-t-on une bestiole de cet acabit au fonds d’une cage ? Une chèvre terrorisée, certes, encore faut-il fermer la porte de la cage sans recevoir un coup de griffe. Un métier à hauts risques !

Deuxième étape : le transport en galère Combien de cages par galère pour rentabiliser le déplacement ? Car les galériens occupent une grande partie de l’espace. Moins de galériens pour transporter plus de lions, mais on met plus de temps : adieu la rentabilité, et les romains y regardaient sûrement de très près. Et puis, mettons-nous à la place d’un galérien : ce n’est déjà pas un job de tout repos, mais, avec pour compagnons de route des lions rugissants, ce n’est pas très rassurant : et si les portes des cages étaient mal fermées ? Choisir entre les mâchoires des lions et celles des requins ?

Troisième étape (pour les lyonnais) : les lions sont notoirement moins aptes à franchir les Alpes que les éléphants. A 2500m d’altitude, avec leurs bijoux de famille presque congelés, ils risquent d’être d’une humeur massacrante. Situation à haut risque pour les transporteurs.

Et puis, sur mer ou sur terre, il faut les alimenter, ces chers félins. Et là, bonjour l’ardoise : +/- 7 kg de viande par jour ; +/- 200 kg par mois, 400 de poids vif si on prend en compte la peau et les os, soit un zébu ou un bœuf de l’époque, qui n’avaient pas grand-chose à voir avec nos mastodontes modernes.

Conséquence : les éleveurs de lions doivent stocker des quantités importantes de viande fraîche, mais comment ? Dans le cas du transport de Rome à Lyon, près de 1000 km : à raison de 30 km par jour, 33 jours, un gros mois si on ne s’accorde aucun jour de repos, 50 si on s’accorde un jour de repos hebdomadaire. Entre temps, il aura fallu fournir 350 kg de viande fraîche à notre félin. Et où s’en procurer quand on fait escale dans les misérables villages lombards ou savoyards de l’époque ?

On comprend pourquoi nos ancêtres gaulois n’ont pas dû avoir trop de mal à convaincre les occupants romains d’organiser un spectacle au rabais : notre chère Blandine a été livrée aux médiocres mâchoires des taureaux et pas à celles des nobles félins africains. Un spectacle au rabais. Bravo quand même à mes sages ancêtres lyonnais !

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