Il faisait un temps divin en ce dimanche de printemps, sur la route des Dombes, dos tourné aux tenaces grisailles de l’hiver lyonnais. Nous pédalions sereinement : cinq ans après la fin de la guerre, les routes n’étaient pas encombrées de bagnoles.
Geneviève allait sur ses 17 ans, moi sur mes 16. Nous avions fait connaissance au cours des dernières vacances, à Mizoën en Oisans. Car nous avions « flashé », comme on dit de nos jours, même si je n’étais resté que quelques heures dans cette auberge de jeunesse. La chance (le destin ?) a fait que nous soyons tous les deux lyonnais. Nos retrouvailles quelques jours après, tout à fait fortuites, dans l’autorail Grenoble-Lyon, me reviennent en mémoire chaque fois que je passe dans cette gare.
En balade à vélo ce dimanche matin, nous savions donc que nous étions amoureux. Mais c’est quoi l’amour, à cet âge, au-delà de l’intense plaisir d’être ensemble ?
A l’ombre d’un platane où nous nous étions arrêtés surgit la première réponse : adossée au tronc, elle était très belle : une sorte de sosie d’Ava Gardner, la sophistication en moins. Elle me tend les bras en souriant, je m‘approche, et c’est notre premier baiser.
Je crois en avoir encore le goût sur mes lèvres : un mélange de sensations délicieuses, totalement nouvelles, et d’ivresse, d’abandon, de plongeon dans un univers inconnu. Des baisers, au cours des 55 ans suivants, nous en aurons pourtant échangé quelques dizaines de milliers, de tous genres : rapides, tendres, passionnés… Mais celui-là, le premier !
Des théologiens ringards ne manqueront pas de parler de double attirance, vers le haut (l’esprit, la pureté) et vers le bas (la chair, le péché). No comment !
Octavio Paz (mexicain, prix Nobel 1990) parle quant à lui de « la doble llama, la flamme double* » : c’est elle qui nous enlaçait, ce jour-là, à l’ombre de ce platane.
Les réponses suivantes à notre question d’adolescents viendront au fil des années… Il faut laisser le temps au temps.
* : « La flamme double » Gallimard 1994