La 1G au village

Rokia pile le sorgho, entourée de ses voisines. On papote, on commente les derniers évènements du village, on rigole. Le quotidien, quoi.

Elle entend un bruit sourd, bizarre. Elle cherche : il vient de la poche de son boubou. Elle en sort l’objet bizarre que sa petite fille Coumba lui a offert hier, avant de s’en retourner chez elle, à Bobo.

C’est vrai que Coumba lui a expliqué à quoi ça sert, et comment l’utiliser. Mais Rokia a tout oublié, c’était la première fois de sa vie qu’elle voyait un téléphone portable, pas plus qu’un fixe d’ailleurs, car elle n’avait jamais mis les pieds au bureau de Poste. Pour quoi faire ? Qui lui aurait écrit, à elle qui n’a pas mis les pieds à l’école, et n’a pas de carte d’identité, laquelle n’est pas obligatoire.

Elle le retourne dans sa main, mais il continue à sonner.

Heureusement sa co-épouse Bintou, la seule avec qui elle s’entend bien d’ailleurs, le lui prend des mains, le tourne dans le bon sens, et l’interroge : « Mais enfin, Coumba, elle t’a dit quoi d’abord ? »

« Maintenant je me souviens, il faut appuyer sur le bouton vert » ; ce que fait Bintou, qui entend alors la voix de Coumba : « Bonjour Mamy Rokia, bisous, bisous, c’est moi, Coumba ! »

Stupéfaction ! Tout le monde entend : on l’a vue partir hier au soir, et elle est de retour ici ce matin !

On entend de nouveau Coumba : « Mamy, je t’ai montré hier, rappelle-toi, tu mets le téléphone contre ton oreille, comme ça tu pourras me parler ».

Un peu maladroite, Rokia finit par trouver la bonne prise en main, elle parle : « Coumba, où que t’es d’abord ? » « Mais chez moi, mamy Rokia, à Bobo ». Bien sûr Rokia n’a jamais mis les pieds à Bobo, elle n’a jamais été au-delà de Kaya.

Depuis cet apprentissage un peu laborieux, la mamy et sa petite fille se parlent assez souvent. Rokia a même appris à appeler Coumba, en appuyant sur l’autre bouton spécialement peint à cet effet.

On n’arrête pas le progrès : maintenant, à l’entrée de chaque village on voit un grand piquet au sommet duquel il y a un petit panneau solaire, d’où pendent des dizaines de fils auxquels les portables du village viennent se recharger.

Du courant pour les portables, alors qu’il n’y a pas une seule ampoule électrique dans tout le village et qu’à la nuit tombée, tout le monde est dans le noir.

On n’arrête pas le progrès. A quand la 5G ?

NB : paroles traduites du mooré (la langue des mossis), par l’auteur.

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