A propos de dictatures

Pendant plusieurs années, grosso modo entre 1969 et 1984, j’étais convaincu qu’il n’y pas de pire dictature que celle de la misère, justifiant implicitement celle du prolétariat, au cœur des positions marxistes. Le coup d’état de Pinochet au Chili, en septembre 1973, avait démontré tragiquement la puissance de l’impérialisme.

J’ai ainsi adhéré longtemps aux thèses marxistes : mes camarades de l’IRAM s’en souviennent, car je m’y référais fréquemment lors de nos rencontres annuelles.

Pourquoi en parler maintenant, un demi-siècle plus tard ? C’est en fait à mes éventuels futurs jeunes lecteurs, mes petits-enfants et leurs descendants en particulier, que je tiens à expliquer les raisons qui m’ont amené à m’intéresser aux approches marxistes de l’analyse des conflits sociaux, en particulier dans le monde rural sud-américain, au Chili, au Pérou et au Venezuela, trois pays où l’IRAM coopérait dans le cadre des réformes agraires.

Fortement interpellé par la pauvreté et la marginalité des paysans dits « minifundiaires » constituant un réservoir de main d’œuvre temporaire pour les exploitations dites « latifundiaires » et « capitalistes », j’ai trouvé chez des auteurs s’inspirant de Marx des explications très éclairantes. Il s’était constitué à l’IRAM un groupe de réflexion qui a été très utile pour dénicher des textes pertinents et animer des réflexions enrichissantes.

Et j’en suis resté convaincu plusieurs années, jusqu’à ce que l’accumulation des répressions sanguinaires dans les pays communistes (Budapest, Prague…) me fasse douter définitivement des mérites des révolutions prolétariennes : les exactions du régime de Pol Pot au Cambodge, avec le soutien explicite de Mao Tsé Toung, les répressions conduites par Staline dans son pays et les pays satellites. La coupe était pleine : c’était ça l’avenir glorieux des opprimés grâce à la dictature du prolétariat ?

Pourquoi 1984 (peut-être 1985 d’ailleurs) ? Ayant rejoint en 1977 les rangs de la recherche agronomique tropicale, puis été happé par le futur CIRAD après l’arrivée au pouvoir de la gauche en 1981, j’ai pu discuter avec des amis représentant une gamme assez large d’opinions, des démocrates-chrétiens aux socialos : aucun partisan de la dictature du prolétariat !   

Un demi-siècle après mes convictions initiales, je suis toujours aussi motivé à contribuer à l’éradication de la misère rurale dans des pays qui me sont familiers, au Sahel en particulier.

Mais la misère n’est pas une dictature : on ne la combat pas avec les mêmes armes que les dictatures politiques.

L’agronome et le citoyen sont certes indissociables, mais leurs moyens d’action ne sont pas les mêmes. Adieu Karl (Marx), bonjour Théodore (Monod) et Germaine (Tillion), après bien sur Emmanuel (Mounier) !   

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